J’ai toujours été attiré par le Mal, je n’ai jamais eu peur de lui... Je sais où est le bien, je sais où est le devoir... Je sais quel est mon fantasme... J’ai conscience de mon appartenance à cette race malade qu’est devenue l’humanité...
Depuis toujours je le savais... Il fallait simplement qu’un déclic lance le processus de réflexion qui aboutit directement à la conclusion logique... Je suis maudit... Ce corps étendu devant moi me le dit, me le crie... Le sang qui ruisselle de son crâne, les vêtements déchirés, l’odeur de la peur et de la mort, l’odeur âcre et rance de sa terreur et de sa déchéance... Elle m’avait provoqué... Elle avait cherché, elle, pauvre âme mortelle et misérable, à m’emmener dans sa direction, vers ces chimères blafardes que sont le bien et le pseudo amour...
Ma race est maudite aussi... Mes semblables ne cherchent qu’à se détruire... Depuis la nuit des temps... Et il en sera ainsi pour l’éternité... Cette éternité que je passerai à voir le Mal ronger les hommes comme une gangrène lépreuse...
Les hommes... Pauvres fous... Pauvres organismes sous développés, incapables de voir leur propre malheur... Cherchant à construire, cherchant à posséder... Toujours plus, toujours plus grand, toujours plus "beau"...
Étendu sur le dos, au milieu d’une cour crasseuse, le sang de cette femme coule entre les pavés jusqu’à la bouche d’égout où il se mélange aux déchets générés par la vie de ses semblables... Eaux usées et vermine... Voilà la belle sépulture dans laquelle toutes les belles pensées de l’humanité l’auront menées... Pauvre folle...
Jamais mon intégrité ne sera ébréchée... Je me dois de rester pur car ma damnation l'exige... Afin de voir et de savoir... Parce qu’il doit en être ainsi...
Je distingue encore des morceaux de son visage... Un œil repose près de mon pied... Un œil qui me regarde et cherche désespérément une réponse... Un œil empli de terreur et d’incompréhension... Lentement je lève un pied, je le pose sur l’œil qui me dévisage, masquant ainsi le regard d’horreur... Lentement, je laisse le poids de ma jambe se reporter dessus... Je ressens d’abord comme une légère résistance, juste à l’endroit où se trouve l’œil... J’accentue donc la pression... Je ne pensais pas qu’un œil serait aussi résistant... Et soudain, un frisson de plaisir me parcourt tout entier... Je viens de sentir le globe éclater sous mon poids... Un bruit mou, humide, accompagne l’agréable sensation... Et soudain, je ressens le désir de parfaire le schéma... De compléter le tableau... Le corps est trop reconnaissable... Trop humain, trop entier...
Alors, ramassant le couteau sur le sol, je lacère le corps de dizaines de coups... Je plante la lame, qui pénètre tendrement dans la chair, après avoir vaincu la résistance inutile de la mince bande de peau, puis je tire vers moi, la pointe légèrement en avant, jusqu’à être bloqué par un os... Alors je ressors la lame sanglante et la replonge... Et ressors, et replonge, et ressors, et replonge… Des ondes de plaisir me parcourent le corps... Poussant un gémissement de jouissance, je lâche le couteau et je plonge les mains dans les viscères encore chauds de ma victime... Entre mes doigts, je sens s’enrouler les entrailles de la femme... Je lève les mains et les sens glisser entre mes doigts...
Je finis par m'éloigné, et m'allonge sur le sol glacé... Je sens alors sur ma joue les picotements gelés des premiers flocons de neige... Je me sens soudain éreinté... Je ferme les yeux un instant... Je me rappelle alors que dans ma lutte avec cette humaine, elle avait réussi à me planter une petite lame... Celle-là même dont je m'étais servi pour la massacrer... Je m’aperçois alors que mon propre ventre est transpercé de part en part...
Lentement, la main glacée de la mort se referme sur mon coeur... Mais bientôt je le sais... L'humanité me suivra... Patience donc...
Car nul ne sortira vainqueur de cette guerre que l'on nomme la Vie...
~Eyes Of Doom~